2 juin 2012

Le pendu de Saint-Pholien - Georges Simenon

Encore Simenon ? Commenter une fois encore du Maigret ? Pour évoquer les détails insolites de temps révolus regrettés ? Car je n'ai pas été enthousiasmé plus que de coutume par cette enquête des débuts du romancier liégeois. Et d'ailleurs je ne suis pas un féru du genre, je l'ai déjà affirmé à maintes reprises. Alors ? 

Venez voir, je vous invite ! Au moins trois considérations loin d'être anecdotiques méritent que je vous entretienne du Pendu de Saint-Phollien.

La première est personnelle, car je vis depuis ma naissance à Liège, où se déroule une bonne partie de l'histoire. J'ai toujours manifesté un intérêt marqué pour les vieilles photos de ma ville. Les comparer aux sites actuels provoque chez moi un vertige, celui du temps peut-être, quelque chose qui me remue, qui relève de la nostalgie et de la méditation. Comme quand on regarde une photo de soi enfant. J'ai été cela ? Ma ville était cela ?


De plus, quand je lis un roman qui s'y déroule, une magie habite les pages. Les lieux connus acquièrent une dimension supplémentaire, une existence parallèle intemporelle. J'ai connu cela en lisant Pedigree (ce n'est pas de la fiction pourtant), La danseuse du Gai-Moulin et cette fois plus que jamais puisque le centre de Liège est parcouru depuis la gare des Guillemins jusqu'au fond de la rue Hors-Château, en passant par la Haute-Sauvenière. Et le quartier Saint-Pholien en Outremeuse, où on voit le 15 août fêter Marie avec une messe en wallon et un folklore arrosé bien liégeois. La scène finale, longue du quart du roman se situe dans un étage sordide d'une cour très discrète derrière l'église Saint-Phollien. Je me suis promené hier rue des Écoliers pour y retrouver l'impasse (désormais fermée) qui mène à ce lieu, dit la Caque, fréquenté occasionnellement par Simenon, où se retrouvaient dans les années 20 des jeunes gens, artistes et intellectuels partageant beuveries et exaltations farfelues.


Cette dernière scène, qui constitue un roman à elle seule, voit les aveux des chevaliers de l'Apocalypse qui sont une transposition romancée de la Caque. Le suicide par pendaison d'un des ses membres, Joseph Kleine, le plus pauvre et toujours ivre, fut source d'inspiration pour l'auteur. Remarquez que ni la réalité ni la fiction n'ont vu le pendu suspendu aussi haut que sur la couverture du livre d'époque (le médiatique dépasse toujours facilement la mesure...).


Seconde raison pour insister sur ce livre : il s'agit d'un écrit charnière dans l'œuvre de l'écrivain. Je n'ai pas eu l'impression de lire une enquête policière, ni un Maigret. Celui-ci attend d'ailleurs la prescription des faits avec indulgence pour n'arrêter personne au terme des aveux. La réalisme psychologique y est à l'œuvre et annonce ses livres plus littéraires, ses romans "durs" (terme choisi par l'auteur pour les qualifier).


Dans une lecture en postface aux éditions Labor, Jean Fabre, Maître de conférences à l'Université Paul valery de Monptellier, décrit cela dans une remarquable analyse qui dépasse largement mon ressenti intuitif. Il souligne chez Simenon l'existence de deux mondes distincts et opposés venus de la personnalité de ses parents : l'un paternel, préposé à la sécurité, qui éclaircit tout et l'autre maternel, angoissant, angoissé et déséquilibré à l'image de sa mère aigrie et contrainte dans un catholicisme sans épanouissement. Ce dernier est celui des romans-romans, sombres et troublés tandis que l'autre, celui du roman policier avec le robuste commissaire, est porteur d'une lumière apaisante qui compense et exorcise l'autre. Les deux genres ont été indispensables à Simenon. Le pendu de Saint-Pholien annonce la série de ces romans nobles que Le relais d'Alsace inaugure la même année 1931.

La promotion de livres donne souvent lieu à des actions publicitaires originales, surtout à notre époque du médiatisé à l'extrême, grâce à des techniques qui, dans les années trente, naissaient à peine. On en vient au troisième point de ce billet : Simenon n'était pas à la traîne sur ce plan il y a presque un siècle, car il a eu recours avec son éditeur Arthème Fayard à un bal parisien pour faire la promotion simultanée des deux Maigret Monsieur Gallet décédé, et Le pendu de Saint-Pholien. Un bal, c'est gentil et petit eu égard aux moyens promotionnels d'aujourd'hui : imaginez une soirée dansante pour lancer un nouveau Harry Potter ou le dernier iPad...


Ce bal avait pour originalité que les invitations étaient présentées sous forme de fiches anthropométriques. Simenon y aurait signé des autographes toute la nuit... Il n'avait déjà plus rien d'un journaliste obscur entamant une carrière hésitante de romancier : il menait sa carrière avec les moyens de son ambition et de l'époque.

Mais qui était donc Saint-Pholien ? Vous découvrirez ici qu'il s'agissait d'un moine évangéliste irlandais qui a parcouru les régions de la Belgique au 7ème siècle. J'aurais parié pour un vieux moine de Wallonie avec cette église d'un quartier qui sonne et semble né avec la cité. Wikipédia en parle aussi ici où vous trouverez une illustration de la vielle église Saint-Pholien en bord de Meuse (la nouvelle est représentée ci-dessous).


Décidément ce pendu m'aura mené sur d'insoupçonnables beaux chemins de la connaissance !

Lu en format ePub sur Sony T1

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