13 octobre 2012

Home - Toni Morrison

Traduit de l'anglais (US) par Christine Laferrière - Éditions Christian Bourgeois

Comment vivre heureux quand on ne sent pas chez soi ? Comment trouver sa maison ? C'est le cri d'hommes repoussés et pauvres qui ouvre Home : 

... Dites, qui possède cette maison ?
Elle n'est pas à moi.
J'en ai rêvé une autre plus douce, plus lumineuse....

Car ils sont noirs. Toni Morrison invoque les années 1950, alors que la ségrégation raciale est vive, la période avant Kennedy, au travers du parcours d'un frère et sa jeune sœur nés dans un milieu difficile, dans la pauvreté et l'insécurité affective.

Que peut comprendre Frank Money, mobilisé dans les forces américaines en Corée1 et qui, de retour, n'est pas considéré comme un individu à part entière par la nation pour laquelle il s'est battu ? 
Au service d'un médecin eugéniste, comment la naïve Ycidra pourrait-elle accepter qu'il ait osé expérimenter sur elle des méthodes qui ont menacé sa vie et l'ont rendue stérile ?
Au début de la constitution américaine, on sait que la représentation des noirs au Congrès était basée sur l'équivalence de cinq noirs pour trois blancs. C'est dire. Une tel disparité de valeur individuelle n'est pas totalement effacée à l'heure où se déroule ce récit. 

Le roman possède trois grandes qualités: sa concision, ses ellipses et la présence intense des personnages:

  • Le dernier roman du Pulitzer 1998 délivre la quintessence des thèmes qui lui sont chers et ceci confère à l'ouvrage une dimension emblématique. Chaque mot tend à l'essentiel. On retrouve la quête d'humanité des noirs, de la liberté individuelle, en particulier des femmes, et l'amour de soi en dépit du regard négatif des autres. 
  • Jamais il n'est souligné qu'il s'agit de noirs2. Cet aspect informulé grandit le ton, exhausse adroitement les épineuses questions qui sont au centre. Le silence du non-dit s'avère le plus révélateur. 
  • Certains chapitres imprimés en italique voient les personnages s'adresser à qui écrit pour démentir, préciser ce qui a été dit ou interprété. L'écrivain ne semble plus maître absolu du récit. Les personnages acquièrent de la présence et s'affirment comme des êtres à part entière, libres de s'exprimer librement.


Détail à souligner: depuis la Corée, Frank a des crises d'achromatopsie, c'est-à-dire qu'il perd la vison des couleurs et il ne voit plus qu'en noir et blanc. J'y vois une métaphore réussie. (Scientifiquement, ce trouble est d'origine génétique ou le résultat d'une lésion cérébrale. Le peintre Jay Lonewolf Morales en est atteint.)

Le récit débute par une scène marquante aperçue par les deux enfants qui assistent à l'enterrement humiliant d'un homme noir, transporté en brouette. C'est à ce symbole dégradant que Home tente de faire justice, afin qu'il se relève dignement, comme les chevaux du début: "Ils étaient tellement beaux. Tellement brutaux. Et ils se sont dressés comme des hommes".

Ceux qui n'ont jamais lu Toni Morrison y verront un roman intelligent et mature, et c'est mon cas. Les habitués du Nobel de littérature 1993 opineront peut-être, mais seront-ils enthousiastes ?

1 Une évolution de la ségrégation dans l'armée des États-Unis est décrite dans ce document instructif de l'Université de Nice.
2 Pour être exact, seul un pied de couleur noire dépassant d"une brouette dans la scène initiale. 

Lu en numérique sur Sony T1 au format ePub.


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