1 décembre 2012

Le Papillon - Christian Beck


Avec la collection Vents du Nord1, tirons de l'ombre un texte et son auteur oubliés – pour autant qu'ils aient jamais été reconnus. Ces vieilleries recèlent parfois d'heureuses découvertes, anoblies par le lustre des reliques patinées. On y pénètre comme dans un vieux grenier empli d'aventure et de mémoire assoupies.

Christian Beck (1879-1916) est le premier d'une génération de quatre lignées d'écrivains, père de Béatrix Beck2 et arrière grand-père de Béatrice Szapiro, auteur de Un curieux personnage consacré à cet aïeul qui n'obtint jamais la reconnaissance littéraire. Il sillonna l'Europe en grande partie à pied, gagna l'Italie, cette Italie qui n'existe plus aujourd'hui, où il rencontra Gorki en exil à Naples. Il y connut aussi Maria-Pia qu'il aima désespérément, au centre du récit proposé ici. 

Ce lettré est plus connu pour des faits notables que pour ses œuvres: caricaturé en singe par Jarry (Gestes et opinions du Docteur Faustroll), ami de Gide et du couple Colette-Willy, sévèrement repoussé par le Collège des pataphysiciens et initiateur de Antée, excellente revue littéraire belge dont s'inspira La Nouvelle Revue Française. Écrivain maudit, lit-on aussi.

Le papillon, ce Journal d'un romantique, a été publié en 1910 à Liège. "Les papillons ont la vie brève. Et moi-même... sera-ce vivre que de vivre loin de vous ? Ils ne travaillent pas pour la postérité. La postérité n'aime que le « gros ouvrage », comme disent les chiffonniers. J'ai beaucoup aimé la gloire, jamais mes vœux ne l'ont localisée ni dans la postérité, ni dans le présent". Voilà le style, parfois plus pompeux encore: "Les cataractes de la lumière sur vos épaules, et son écharpe flexible comme tes pas, et son entrelacs semblable aux boucles de tes cheveux, aux vagues d'une mer de lumière, aux anneaux d'une union mystique, quels jeux évanouis aux prés élyséens ou quel trône de prières infléchissent en nous de plus glissantes délices ? " Qui s'étonnera qu'au seuil du 20ème siècle, cette œuvre sombra ? Le symbolisme s'y épuise et le romantisme y agonise.

Mieux, cependant, l'âme du philosophe: "Il n'est point d'homme en possédant le Bonheur qui n'éclairerait davantage le destin de ses frères que par tout autre enseignement. Ou de l'artiste: Le mystère n'est pas toujours l'ombre de nos connaissances, mais leur lumière même."

Un homme pétri de contradictions, à la fois mystique et agnostique: "Mon Dieu,  je ne vous pardonnerais pas de ne pas exister; dans son écriture même, comme en témoigne Christophe DuchateletSon style recèle une écriture ampoulée dans ses rêveries, burlesque dans ses digressions, mais l'on sent que l'auteur s'adonne volontairement à ce jeu dangereux, comme pour nier la réalité de l'œuvre." Une faillite qui ressemble à celle d'Alfred Jarry. 

Opposé au flamingantisme, il préconisait le rattachement de la Wallonie à la France: autonomie wallonne sous un régime fédéral belge (déjà). Précurseur de la francophonie, il pensait créer un union des pays de langue française. La tuberculose l'emporta à 37 ans.

Avouons que les ailes de ce papillon, colorées d'amour et de philosophie, font quelquefois briller les yeux. Il se réjouira peut-être, là d'où il nous contemple à côté d'autres cyniques romantiques consolés, de voir son nom évoqué pour la maîtrise de sa langue souveraine. On lui devait cela, un lys sur une tombe délaissée.

La collection Vents du Nord a une double vocation: accueillir des textes inédits d'auteurs belges contemporains et rééditer des classiques de la littérature belge aujourd'hui introuvables.
2 Léon Morin prêtre, Goncourt 1952.


Références: Éditions Zellige (collection Vents du Nord), 2012 - 112 pages - 15 €  


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