26 février 2013

Le veau - Mo Yan

Traduit du chinois par F.Sastourné (Le Veau est suivi du texte Le coureur de fond).


Mo Yan est né en 1955 en Chine et a douze ans lorsque la révolution culturelle est à son apogée. Les souvenirs de jeunesse qu'il narre dans ces deux récits, mêlés aux produits d'une imagination féconde, s'appuient dès lors sur une observation sociale de l'époque maoïste. Le veau, raconté avec malice par Luo Han, un enfant turbulent et farceur, se déroule dans un milieu rural où chacun essaie de tirer la couverture à lui, avec courage et ruse, dans l'esprit d'une communauté paysanne soumise aux lois absurdes du régime communiste. On sourit en apprenant que Mo Yan signifie en chinois celui qui ne parle pas, alors que, outre qu'il est un des écrivains les plus productifs et les plus traduits dans le monde, cette histoire est essentiellement charpentée sur des dialogues très animés.

Le fourrage manque et la multiplication des animaux devient problème, de sorte que le vétérinaire Dong est amené auprès de trois veaux afin de les castrer. Parmi eux Double Échine, deux bosses sur le dos, un animal vigoureux qui essaie de monter toutes les vaches, sa mère y compris. Lorsque vient pour celui-ci le tour de passer au scalpel, le vétérinaire hésite car ses vaisseaux dilatés font courir le danger d'un saignement fatal. Il finit par se lancer dans l'opération après maints palabres pittoresques mais Double Échine se montre rétif, et l'opération mémorable qui suit est décrite d'une plume alerte au burlesque évocateur. En fin de compte la plaie du bœuf s'infecte et Luo Han doit le conduire à la commune populaire voisine, à vingt lis[1] de marche, car son état s'aggrave. Une histoire vivante et éloquente agrémentée d'humour, mais aussi une critique acerbe des communes populaires.

Mo Yan a suscité la polémique lors de son prix Nobel de littérature en 2012, pour une œuvre qui mêle réalité et imagination, perspectives historique et sociale: certains déplorent qu'on ait choisi un membre du parti communiste, d'autres reprochent à l'écrivain son attitude modérée face au PC chinois et son absence de soutien aux dissidents. Un article intéressant de Rue89 rappelle qu'il a reçu un prix littéraire et non le prix Nobel de la Paix. En lisant Mo Yan, il ne donne pas du tout l'impression de manquer d'esprit critique. Néanmoins il est clair que, face à la presse, il préfère parler de ses livres plutôt que d'attitudes politiques où il reconnaîtrait les pressions qu'il subit.
Les noms de familles des personnages chinois finissent par tous se ressembler pour un œil accoutumé aux patronymes occidentaux. Si ce n'est pas préoccupant dans le récit du veau, ce le devient dans la seconde histoire proposée, Le coureur de fond, où les protagonistes sont nombreux. Les dialogues y sont rares car presque tout est narration. On y découvre, via les performances sportives d'un instituteur, l'organisation dans une communauté villageoise d'épreuves sportives sous le régime communiste. L'ensemble apparaît décousu, truffé d'anecdotes, comme s'il s'agissait d'un journal ou d'un projet qui aurait dû aboutir dans un écrit plus vaste.

La traduction de François Sastourné mérite cependant les éloges car elle restitue magnifiquement la nature d'une société que nous connaissons peu. Belles adaptations favorisées sans doute en partie par la féconde spontanéité de l'écrivain chinois, surtout dans le premier récit.

Mo Yan donne avec empathie, à travers ces deux histoires, une version orientale de la comédie humaine où commandent le pouvoir, l'argent et la reconnaissance. La critique politique s'y dissimule tantôt subrepticement, tantôt ouvertement comme dans l'épilogue narquois de l'histoire de Double Échine, le veau à qui il arrive de chuchoter à l'oreille d'un adolescent.

[1] Le li est une mesure chinoise aujourd'hui standardisée à 500m.

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