30 juillet 2013

La fascination de l'étang - Virginia Woolf

Je laisse la parole à Arnaud Cathrine dans la courte préface qui souligne la nature de cette sélection: "Voilà donc le trésor que recèle ces nouvelles, tout autonomes qu'elles soient : un atelier dans lequel Woolf se livre à des explorations qui la conduiront à trouver les formes singulières qu'elle cherche obstinément (…) mais également un espace d'élaboration de figures qui resteront mythiques, telle Clarissa Dolloway (…)."

Plusieurs textes sont en effet des esquisses bien abouties de chapitres pour des fictions plus ambitieuses. Deux d'entre eux (Le symbole, La station balnéaire) sont même tapés au verso du roman Entre les actes.

Délibérément éloigné de V. Woolf avec l'a priori que ses œuvres s'adressaient mieux à un lectorat féminin, j'ai eu le plaisir d'enfin lire cette vive intelligence. Aucun de ces textes très variés dans le ton et le format ne laisse indifférent: le style est elliptique, sollicite l'attention et l'envie d'approcher. Le flux rapide des pensées imprègne la page et pour avoir lu sur la lecture du cerveau, je me dis que Woolf donne à voir le sien comme le miroir fidèle et tranchant du fil des images exclusives, très sensibles, qui viennent à elle. Aucune concession aux formules faites, trop apprêtées : être aussi totalement soi est presque bouleversant.


Entre toutes, Mémoires de romancière s'avère maline: son objet réside davantage dans les travers de la biographe que dans les traits de la romancière Miss Willatt. Admirable divergence au ton faussement détaché: "...on voit que Miss Linett aimait la mort parce qu'elle lui procurait une émotion, lui faisait éprouver des sentiments qui, dans l'instant, pouvaient passer pour authentiques. Sur le moment, elle aima Miss Willatt ; immédiatement après, sa mort la rendit presque heureuse car c'était une fin que le risque d'un recommencement ne venait pas gâter. Mais ensuite, quand elle rentra chez elle prendre son petit déjeuner, elle se sentit seule car elles avaient l'habitude d'aller à Kew Gardens ensemble, le dimanche." De haut vol.

"La fascination de l'étang" est une très courte pièce dans laquelle on trouve la vision singulière de l'écrivain, poétique, étrange, en teinte fantastique avec la note triste qui sourd, toujours à l'affût au fond du vivant et du sublime, versant sombre inquiétant: "Si triste voix devait venir du plus profond de l'étang. Elle montait de sous les autres comme la cuiller soulève l'eau de la jatte. C'était la voix que nous voulions tous entendre. Toutes les autres fusaient en douceur vers la rive pour écouter celle-ci, triste, si triste que sans doute elle savait le pourquoi de tout."  Comme une prémonition. À ce propos, on ne manque pas de ressentir dans divers passages du recueil une fascination mélancolique et trouble pour l'eau, et notamment au terme de La station balnéaire, dernière nouvelle achevée moins d'un mois avant la noyade: "Mais, la nuit, la ville prend un aspect tout à fait éthéré. Il y a des cerceaux et des couronnes par les rues. La ville a sombré au fond de l'eau. Seul affleure son sequelette, dessiné par des lampes de fée." Beau et tourmenté.

Dans ce recueil, les fictions pures (comme "La veuve et le perroquet", "Bohême" qui révèlent la conteuse) sont rares chez Virginia Woolf car elle manifeste toujours quelque intention qui touche à l'essai ou à la satire. C'est clairement une intellectuelle qui affirme une voix moderne.
Voilà une petite anthologie[*] bien faite, annotée, avec des textes chronologiques qui s'échelonnent des années 1900, les débuts étonnement mûrs, jusqu'à la dernière nouvelle peu avant le suicide. Elle satisfera autant les inconditionnels et spécialistes de la romancière que ceux qui cherchent à la découvrir à travers ses multiples facettes. À ces derniers, il conviendra bien de lire l'article N'ayons pas peur de Virginia Woolf pour comprendre à quel point l'écriture lui fut indispensable.

Cette courte présentation trouvera d'intéressants prolongements parmi les billets de blogs suivants:


[*] Il semble que le recueil (25 textes) soit un condensé de Haunted House and Other Stories - The complete shorter fiction of V. Woolf (45 textes), en V.O. consultable ici



Commentaires








1 commentaire:

  1. She died in 1941 but spent her summers in her parents' home until 1985?
    Remarkable woman indeed!

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