30 novembre 2013

La bellarosa connection - Saul Bellow

À côté des grands titres qui ont marqué la carrière de Saul Bellow — Les aventures d'Augie March (1953), Herzog (1964), La planète de M Sammler (1970) ont obtenu le National Book Award —, ce titre paru en 1989 ne pouvait faire figure d'anecdote, car il fut publié uniquement en poche dans le but de toucher plus de monde. La faconde de ce vieil auteur d'origine juive y est intacte et par la suite, en 2000, viendra encore l'important Ravelstein, à 85 ans. Certains tentent un parallèle avec Philip Roth : bien qu'ils se soient rencontrés et appréciés, Bellow est de la génération précédente et on affirmera justement que Roth en est un héritier, lui qui a écrit: L'entreprise quasi désespérée qui marque les romans de Bellow comme ceux de Mann ou de Musil (consiste à) immerger la littérature dans l'activité cérébrale et au-delà, placer la cérébralité au cœur même des questions du héros.

Roman cérébral ? Peut-être, mais je n'y vois pas un livre désespéré, et en sors revigoré par ce narrateur, vieil homme attachant, qui joint l'humour à une auto-critique sans ménagement, lui qui, doté d'une excellente mémoire, a fondé un institut de la mémoire (qui est «l'essence même de la vie») représenté dans plusieurs pays. Il raconte l'histoire d'un cousin, Harry Fonstein, réfugié d'Europe centrale sauvé des nazis par Billy Rose, un juif américain du monde du spectacle, fantaisiste et puissant. Après avoir rencontré sa future femme, Harry fait fortune et cette dernière souhaite contraindre Billy à rencontrer son mari, en faisant pression avec des documents compromettants. Les motivations de Sorella, subtiles, s'appuient sur l'ambiguïté de l'identité juif américain : un parvenu du show-biz se distancie du rescapé de l'Europe des camps de concentration. Et au narrateur de se demander quel juif il est : Je n'avais rien compris au dossier « Fonstein contre Rose »,  lui  jusque-là  insouciant, que la réussite a conduit à l'opulence, bien seul dans son immense villa où Émily Dickinson aurait un jour pris le thé. Juif, je l'étais, mais d'une espèce tout à fait différente. Tandis que Fonstein était Mitteleuropa. 
Le destin extraordinaire de Harry Fonstein est éclipsé par la personnalité du narrateur et surtout celle, éblouissante, de l'énorme et intelligente Sorella. Retraité et veuf, il tente de retrouver le couple qu'il a perdu de vue depuis des années, et surtout Sorella, de laquelle il écrivait : Dans ce monde de menteurs et de couards, oui, il est encore des gens comme elle, des êtres dont contre toute logique on espère qu'ils existent. Que sont devenus les Fonstein, leur fils promis à un grand avenir américain ? Je vous laisse découvrir l'ultime coup de fil singulier, palpitant, grave, qui conduit au terme de cette savoureuse narration, toute en dialogues, qui aurait été inspirée à Bellow par une anecdote racontée dans un dîner. 
J'emprunte les tout derniers mots du narrateur pour vous confirmer une plume fleurie, mnémonique.
       
Robert Laffont, collection pavillons poche153 pages, traduit de l'anglais par Robert Pépin.

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