17 juin 2014

Éditeur ! - Émile Brami

L'écrivain marocain Élie Benarous, honnête romancier qui connaît quelque succès, passionné d'art brut véritable, se voit courtiser assidûment par un extravagant autodidacte mégalomane, devenu nouveau riche grâce à ses boucheries prospères.
On sait comment on l'affaiblissement mental rend malléable : dépression passagère après le décès de la mère, perte du goût de la nourriture et des choses, la galerie d'art brut va à veau-l'eau et la porte s'ouvre pour un opportuniste comme l'opulent boucher Bernard Cisse, qui se pique de littérature en apprenant par cœur les citations latines roses du dictionnaire.  - Est-ce que tu te rends compte Élie ?  Diriger une maison d'édition...Une telle opportunité à ton âge, il faudrait être fou pour refuser, ce serait la consécration de tout ce que tu as fait jusqu'à présent. En acceptant de travailler pour la maison d'édition Double-Cisse financée par le parvenu – également versé dans le calembour facile –, Benarous entre dans un vrai cauchemar. On n'applique pas (on ne devrait pas appliquer) à la littérature les recettes pour réussir dans l'agroalimentaire. Même avec le renfort de millions pour s'entourer de personnes compétentes, on n'édite pas n'importe quoi, et surtout pas  des livres racoleurs ni même des livres de cuisine luxueux qu'on vendra dans les boucheries... Puis il y a Chita – Conchita  Martinez Y Gomez –, le bras droit comptable de Cisse, caricature des garçonnes fréquentant les cafés lesbiens à Paris dans les années 30, qui situe immédiatemment le malheureux Élie : En résumé, vous êtes l'idiot du village, un gentil neuneu qui n'effraie personne car il vous manque les indispensables coordonnées personnelles de journalistes réputés, votre couvert dans quelques dîners en ville et les relations mondaines nécessaires pour lancer un écrivain.

Mais bien entendu, pour Élie, il y a la bonne littérature, celle en laquelle il croit.

Raillant, drôle et parfois excessif, le récit de Émile Brami nous fait vivre l'histoire d'une maison d'édition née d'un caprice. La parodie est extrême au point que la multiplication des initiatives déplorables du ploutocrate parvenu conduit à une farce qui, à force d'être non crédible, pourrait faire oublier les dessous du monde éditorial qu'elle dénonce. Brami s'explique dans l'avertissement de cette fiction romanesque où il s'appuie sur la phrase De Pierre-Daniel Huet : La fable représente des choses qui n'ont point été, et n'ont pu être; le roman représente des choses qui ont pu être, mais qui n'ont point été. Entre fable et roman, on ne doute pas qu'il ait fallu une bonne part de vécu  (Brami est libraire et a été petit éditeur) pour griffer ainsi l'univers de l'édition. Le narrateur de la fiction, auteur d'un premier roman Baby doll, est manifestement la transposition marocaine de l'auteur tunisien Brami qui écrivit Histoire de la poupée.

Le livre insiste sur des maillons moins connus de la chaîne du livre qui sont pourtant essentiels et coûteux : la distribution, où on entrepose et gère les stocks de livres, et la diffusion sans laquelle on ne vend pas, car c'est via ses agents - à convaincre - qu'un livre sera placé en autant d'exemplaires dans tel ou tel rayon de vente.  On comprend que dans les tractations  à ce niveau on est à mille lieues de l'homme inspiré devant sa page blanche. Alors que c'est quand même pour le travail de celui-ci, au final, que tout cela devrait fonctionner.

Si l'envie vous prend de dépenser vos économies dans la promotion d'auteurs prometteurs ou dans la recherche de perles rares, s'il s'agit de vous faire publier même, réfléchissez à deux fois avant de faire votre petit Actes Sud: Éditeur! vous met en garde...

L'auteur présente le roman ici.

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