10 octobre 2016

Traduire et trahir

Beaucoup a été exposé ici à propos de la traduction (Le chemin vers l'œuvre et suite), néanmoins, un article de la Nouvelle Quinzaine Littéraire (n°1153, juin 2016, Franck Colotte), apporte quelques notions intéressantes à verser au dossier.

«Traduttore, traditore», traduire et trahir, c'est connu et même une traduction littérale ne libère pas des affres de la trahison. Voici cependant deux aspects bien positifs de la «tromperie».

Yves Bonnefoy, critique et traducteur de Shakespeare (dont on sait la portée universelle et métaphysique de chaque mot), considère d'abord la traduction comme un acte poétique où l'expérience et le questionnement ont une place importante. Et puisque l'expérience poétique est comparable au rêve, la traduction est d'abord, selon Bonnefoy, une expérience onirique : "Le traducteur se doit alors de faire l'épreuve [...] d'une altérité qui est non seulement linguistique et culturelle mais également poétique et existentielle.", écrit l'auteur de l'article. (Bonnefoy utilise les termes de «l'épreuve de l'Étranger» et d'«expérience d'outre-langage»).
Par ce fait, le résultat de cette confrontation est la naissance d'un nouvel original, dans lequel le traducteur "a le droit d'être soi-même et de formuler sa réponse critique au texte de départ".

Une autre importante considération relève de la musique et du souffle, lorsque le texte est destiné à être dit. La traduction devient alors une sorte de première mise en scène des mots, destinée à offrir aux comédiens un texte déjà maîtrisé : "... cette maîtrise du texte passe par une langue mise en corps, en bouche , en voix.
Il arrive à Jean-Michel Désprats – directeur de l'édition française de Shakespeare à la Pléiade – de travailler ses traductions au magnétophone. On songe bien sûr à Flaubert disant ses textes dans son «gueuloir», car "l'écriture est aussi une affaire d'air dans les poumons". L'essentiel pour Déprats c'est la musique, le mouvement de la phrase. "Un texte doit respirer, bouger : c'est un être vivant." conclut Colotte.
L'article mentionné s'inscrit dans un dossier de la NQL "Qu'est-ce qu'interpréter ?". Il y est question de l'interprétation musicale, de celle des textes bibliques, d'interprétations fantaisistes de grands auteurs et de réécrire Homère. Précieux.

6 commentaires:

  1. Tout ce qui concerne la traduction m'intéresse, vous le savez. Ici l'onirique, et la respiration.
    Si l'on suit Bonnefoy, il me semble que ce nouvel original ne devrait être réalisé que par un autre poète...mais ne sommes-nous pas tous un peu poètes?

    Sur cette petite pirouette, je vous souhaite une bonne journée Christian.

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    1. Traduction de la poésie par une âme poète, c'est préférable, Shakespeare qui plus est.

      C'est bien de vous lire ici, merci.

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  2. ah l'importance de la traduction qui donne ou redonne du souffle à un texte
    j'expérimente une nouvelle traduction de la Montagne magique ...pour le moment je suis séduite mais je ne fais que commencer

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    1. Grâce à vous, et c'est précieux, nous ne risquons pas d'oublier les grandes valeurs sûres de la littérature. J'aimerais connaître cette nouvelle édition ?

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  3. Je suis très sensible à la formule de Déprats sur "la musique, le mouvement de la phrase" - au point de préférer à une traduction nouvelle qu'on dit meilleure une plus ancienne qui me semble plus "musicale".

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    1. Je suis assez sensible à la musicalité des phrases, et si je n'ai pas très souvent l'occasion de comparer des traductions, il m'arrive de me cogner sur des maladroites comme sur des meubles mal disposés !

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