4 décembre 2017

Impudeur et inconvenance

MOI: «Impudeur», dites-vous ?
LUI: ... je maintiens le mot.
MOI: Allons donc ! C'était juste pour dire quelque chose, non ? L'impudeur, vous le savez très bien, déteste les livres, déteste toute forme de création artistique. Il y moins d'impudeur dans l'œuvre entière de Sade que dans un banal show télévisé du samedi soir. L'impudeur, c'est la licence de dire n'importe quoi, de s'exhiber, fût-ce en costume-cravate, pour jouer au Juste Prix, à qui-perd-gagne ou à ce que vous voudrez.
    L'impudeur se fait jour là où manquent le talent, l'imagination, le culot et surtout la maîtrise de soi. L'impudeur, c'est l'idée absurde que tout le monde a quelque chose à dire. Le premier des droits de l'homme, ne le saviez-vous pas, c'est le droit de s'exhiber : "Moi, moi, encore moi...", et d'emmerder ses semblables. L'impudeur, c'est la distraction à la mode, c'est le sport le plus facile à pratiquer, car il ne demande aucune capacité physique ou intellectuelle, seulement de l'entraînement, énormément d'entraînement. 
    Moi, monsieur, je ne veux pas être impudique, j'essaie d'être inconvenant, c'est tout le contraire ! Inconvenant : vous me suivez ? Au sens propre du terme, c'est-à-dire "pas convenable" ! Une œuvre, monsieur, est toujours une chose inconvenante, inattendue, de trop, dérangeante dans cette mesure. Ce n'est pas à la mode, ça ! Rien à voir avec le goût du jour !

Pascal Lainé - Sacré Goncourt !  (Fayard, 2000)

Un écrivain (MOI) est interviewé par un journaliste (LUI) d'une feuille littéraire de province. L'auteur a reçu le prix Goncourt il y a longtemps mais il semble que le prix ne couronna qu'un roman qu'il voyait comme un cahier d'études [Lainé l'a eu en 2017 pour "La dentellière" ; une récompense qui l'a "dévoré", éclipsant la suite de son œuvre]. Le Goncourt serait le résumé d'un joyeux bordel culturel et médiatique, bien éloigné de l'œuvre d'art où se retrouve l'ombre de Dieu "parti finir la nuit dans un autre lit". Raillerie du suivisme, de la mode et de l'aliénation du monde réel. 



6 commentaires:

  1. Ce texte de Lainé sonne très juste. En ce qui me concerne, j'ai lu très peu de Goncourt. Le dernier doit être celui d'Alexis Jenni, "L'art français de la guerre" en 2011.
    Robert Spire.

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    1. Je ne lis plus les Goncourt, même si je trouve qu'en général ce sont des livres de bon niveau. J'aurais de toute façon lu le Vuillard sans le prix.
      Je me suis amusé avec deux ou trois dessins sur le suivisme que je posterai demain.

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  2. Voilà, j'ai noté ce titre dans ma (longue) liste de tentations (et La dentellière, ce n'est pas en 2017 ^_^)

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    1. J'ai vu un film "La dentellière" avec Isabelle Huppert, j'avais apprécié à l'époque, pas lu le livre de Lainé.

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  3. B'alors, elle a raison keisha, t'as pas vu le temps passer, si tu situe le livre auj, warf ! (Un des rares livres, à mon sens, dont le film ait gardé l'esprit).
    Quant à ce qu'il écrit, là, OUI ! Et cette impudeur de chaque instant est insupportable !
    Merci à toi.

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    1. Le film m'avait plu. Ce qu'il dit du roman dans son "Sacré Goncourt !" fait penser à un prix un peu par hasard, qui a éclipsé le reste de son travail.

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